Le contrat
Je suis tueur à gages. C’est-à-dire que du moment qu’on me paye, j’assassine qui vous voulez. Mafieux, hommes politiques, femmes, enfants ! Du moment que vous y mettez le prix tout est bon. Le boulot ne me plaît pas particulièrement, mais je suis doué pour ça, puis je n’ai pas vraiment eu le choix.
Mais j’en ai marre. Si en plus il n’y avait pas ces maux de tête continuels.
Je suis un des meilleurs. Je ne veux pas me vanter mais je dois être le professionnel le plus ancien et je n’ai jamais raté un seul contrat. J’ai même souvent dû liquider des concurrents qui avaient échoué. Toujours de la même façon, une seule et unique balle dans la tête.
J’ai tué mon premier homme à 19 ans. Un gars qui n’avait pas remboursé un parrain. Je traînais depuis longtemps dans les milieux pas très nets. J’avais besoin d’argent et j’ai surpris la conversation de deux types louches. Ils parlaient d’un remboursement non effectué ; qu’il faudrait se débarrasser du gars pour qu’il ne recommence plus. Alors je suis intervenu, j’ai dit : « Donnez-moi 200 dollars et je m’en charge. » Les deux types m’ont regardé bizarrement. Puis celui qui avait l’air d’être le chef m’a tendu son flingue et un bout de papier avec une adresse. « Reviens une fois que c’est fait, on verra après pour le fric. Quand tu le verras, dis-lui que tu viens de la part de Tommy ». Je suis allé à l’adresse indiquée. Un vieil immeuble délabré. Le gars en question était un maquereau. Je suis entré dans son bureau. J’ai dit : « Je viens de la part de Tommy. » Le gars m’a regardé en riant, je lui ai tiré dessus, en plein milieu du front. Il ne riait plus. » J’ai été voir ce Tommy, il m’a filé 500 dollars. Une misère par rapport à ce que je demande aujourd’hui. Mais il m’a présenté à son patron, qui m’a appris les ficelles du métier. Il a été mon premier employeur, jusqu'à ce que j’aie un contrat sur sa tête.
Je m’en souviens encore. C’est juste après lui que j’ai commencé à avoir des migraines. Après chaque contrat, de plus en plus fort. Comme si l’on me vrillait la tête. J’ai été voir un tas de médecins, ils n’ont rien trouvé. Pas de tumeur, pas de caillot sanguin, rien. J’ai pris tout ce qui existait pour calmer les migraines. Mais ça ne sert à rien. A chaque fois que je tue, ça reprend. De plus en plus fort, de plus en plus longtemps.
La dernière fois, j’ai failli tomber dans les pommes. C’est pour ça que je veux arrêter. Ça devient trop dangereux. Imaginez un peu les gros titres : « Un tueur arrêté sans conscience sur les lieux de son crime. » Ça ne ferait pas très sérieux.
Enfin, ce n’est pas le pire. Depuis quelque temps, j’ai l’impression d’être observé. Chaque fois que j’épaule mon fusil, je ressens une présence menaçante. Comme si un tueur attendait un moment d’inattention de ma part. Au départ ce n’était qu’un sentiment diffus. Je regardais derrière moi mais il n’y avait personne et comme c’était très léger, je n’y prêtais pas attention. Mais l’impression est devenue de plus en plus forte.
Alors ce coup-ci, ce sera le dernier. J’ai assez de fric pour vivre 200 ans. Je vais me trouver un coin au soleil et oublier ce boulot pourri. Le dernier et le plus gros coup de toute ma carrière, je ne sais pas ce que ce gars à fait, mais on ne m’a jamais offert autant pour un travail.
Je me trouve actuellement dans l’immeuble en face de son domicile. Un vieil immeuble délabré et abandonné. Juste en face de lui, l’idéal pour moi. Une ligne directe jusqu'à lui. Comme d’habitude, je ne sais pas qui il est. On m’a remis une enveloppe avec une adresse et une photo. Dans ce boulot, il vaut mieux ne pas en savoir trop. Sauf évidemment si l’on connaît déjà la victime. Mais une fois payé, le contrat doit être honoré quelles que soient les circonstances.
Une fois le payement de la moitié de mes honoraires effectué, je commence l’observation. Dès que je connais les habitudes de la victime, j’envoie une date et une heure aux commanditaires, et c’est à ce moment là que je m’occupe de la cible.
Cette dernière victime est toujours en phase d’observation mais je n’ai presque plus besoin de regarder. Je connais toutes ses habitudes par cœur. A cette heure-ci, il doit être en train de déjeuner. Toujours 3 croissants et deux tasses de café noir. C’est facile à retenir, c’est le même petit déjeuner que je prends depuis presque 35 ans.
Ce n’est pas le seul point commun d’ailleurs. Il porte les mêmes vêtements, il mange la même chose, boit la même chose, range son appartement de la même façon, à quelques détails près.
Enfin, je me fous de tout ça, j’ai été payé, le contrat doit être honoré. J’ai envoyé la date et l’heure à mon commanditaire, ça se fera à midi, aujourd’hui même.
Il ne faut vraiment pas que j’échoue. Je dois réussir à l’abattre, tant pis pour ma couverture. J’ai toujours le sentiment que quelqu’un m’observe et qu’on va me tuer à la moindre inattention. J’ai cherché partout. Aucune trace. Pourtant je suis sûr que quelqu’un ou quelque chose est dans l’immeuble avec moi. Ce n’est pas vraiment le fait qu’il y ait un contrat sur ma tête qui m’inquiète, ce n’est pas la première fois. Mais cette fois-ci, je n’arrive pas à le localiser. D’habitude, je peux les sentir, une sorte d’instinct de tueur. On se reconnaît dans la rue, on sait qu’il y’en a un dans un restaurant quand on entre, on sent s’il sort avant nous. Et on sait précisément quelle personne c’est. Mais celui-ci, pas moyen de le trouver. J’ai parfois même l’impression qu’il est juste derrière moi. Je sens son souffle près de mon oreille. Je suis sûr qu’il se trouve à moins de dix centimètres de moi, et pourtant même si je me retourne brusquement, il n’y a personne. La porte de la chambre que j’occupe est fermée et il n’y a aucun bruit de course dans les couloirs. Juste une vague impression et une odeur de poudre.
Il est 11h07. Je vais bientôt passer à l’action. Je ne regarde plus ma victime. J’ai vraiment peur. Chaque fois que je regarde dans sa direction, le sentiment d’être observé me reprend. Mais il n’y a rien. L’immeuble est vide, il n’y a aucun bruit, aucun mouvement.
Bientôt midi, j’ai fouillé tout l’étage mais je n’ai rien trouvé. Il n’y a que mes traces de pas dans la poussière. Personne d’autre n’est venu.
Voilà, il est presque midi. Ce sera ma dernière victime. J’épaule mon fusil, je sens mes mains moites sur la crosse. Je regarde dans la lunette et j’ai de nouveau ce sentiment étrange d’être regardé. Je n’ai jamais été aussi nerveux pour accomplir un contrat. Je me fais trop vieux pour ce boulot. Mais je n’ai jamais échoué et ce n’est pas maintenant que je vais commencer. Le dernier sera aussi bon que tous les autres. Je vise, je tire…
Je n’ai jamais eu aussi mal à la tête, j’ai l’impression qu’une balle l’a traversée. La douleur est si forte. Je perds connaissance…
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